Je ne viens pas d’une famille d’universitaires. D’intellectuels.
Les gens avec qui j’ai grandi sont davantage des doctorants de la chaleur humaine et sont dotés de cœurs immenses. C’est auprès d’eux que j’ai aiguisé ma belle spontanéité et mon sens de la répartie.
Il reste que la vie académique m’a toujours stimulée et le désir d’apprendre m’habite depuis que je suis toute petite.
Sabrina la première de classe.
Sabrina la bolée.
Tsé la fatigante avec la main tout le temps levée.
C’est moi ça !
Ça m’a toujours définie, et ça me rassurait de savoir que j’étais estimée pour mes capacités intellectuelles. Que j’étais brillante, du moins selon mon bulletin.
L’université était pour moi un objectif personnel d’épanouissement et d’émancipation.
C’était la possibilité d’accomplir de grandes choses et de repousser mes limites. C’est avec cette fierté et une grande fébrilité que j’entamais ma première session à l’UQÀM, en octobre 2012.
En avril 2013, j’abandonnais mes études.
Deux choses ont marqué mon parcours durant ces six mois. La première est la relation toxique que j’entretenais avec mon partenaire de l’époque. Ce ne fut pas la raison de mon abandon, mais il faut croire que la façon dont il m’a dévalorisée a grandement affecté la confiance que j’avais en moi. Et c’est cela qui a eu un impact direct sur ma façon d’aborder la suite. Parce qu’à l’époque, il m’a appris à me sentir conne. Et j’apprends vite, tsé. ( je l’ai mentionné plus haut !)
Ma plus grande cicatrice scolaire fut lors d’un cours de critique théâtrale. Un cours que j’appréciais particulièrement et dans lequel j’aimais prendre part aux discussions. Malgré qu’un des deux enseignants puisse être cinglant lorsqu’il s’adressait à nous, j’osais tout de même défendre mes opinions, car j’ai toujours été d’avis que la pertinence du dialogue réside dans la jonction de deux idées distinctes. Cette journée-là, le 14 février pour faire exprès, on devait recevoir la note de notre première critique rédigée. En début de cours, on nous demande de nous exprimer à propos de la position que nous avions prise pour aborder notre texte. Peu de réponses de la part des autres étudiants. Le climat installait rarement une ouverture qui nous rendait confortables pour nous exprimer. Malgré tout, je lève ma main, comme à l’habitude, et détaille le contenu de mon travail de rédaction. Le professeur me remercie, rit un peu, et mentionne au reste du groupe :
« Vous venez donc d’entendre tout ce qu’il ne fallait pas faire. »
Personne ne rit.
Je veux m’enfoncer dans le plancher.
Je reçois ma copie ; 28%.
Peut-être que certains diront que ce n’était rien de grave. Mais à ce moment-là bien précis, il venait de m’enlever le brin de confiance en moi qui me restait.
Ce n’était pas ma place.
Je ne me sentais pas bien du tout.
L’UQÀM avait fait une erreur dans sa paperasse et avait admis une conne.
Je m’en excuse, c’est mon erreur.
Je n’avais pas coché la case prévue à cet effet lors de mon inscription.
***
Près d’une décennie plus tard, je complète ma première session à l’Université de Montréal. Il m’a fallu beaucoup de temps, un mari qui croit en moi et une dizaine de A+ pour faire taire ce sentiment d’imposteur qui me hantait.
Ça reste longtemps, ces peurs-là.
Je me suis fait cette réflexion suite à un cours de rédaction où nous partagions nos textes et en faisions la lecture devant le reste du groupe. D’habitude, parler devant les gens ne me stresse pas du tout. Au contraire même, j’ai une aisance naturelle et j’aime le faire. Reste que dès mes premiers mots, je tremblais derrière mon écran.
J’avais la chienne.
C’est en déviant mes yeux de mon texte vers notre classe virtuelle que je constate les sourires de mes collègues. Des sourires bienveillants, impressionnés et chaleureux.
Leurs commentaires à mon égard étaient élogieux.
Ça m’a grandement touchée.
Mais ça m’a surtout déstabilisée.
C’était ma place.
Mon X.
Sur ce spot-là, j’étais bien.
Au travers ce cours, j’ai fait la rencontre d’étudiants allumés et d’un enseignant passionné et ouvert d’esprit. Au travers eux, j’ai beaucoup appris sur moi. J’ai pu enfin prendre la distance émotionnelle nécessaire pour reconnaître que je suis intelligente et ainsi prendre conscience de la réelle valeur de mon travail et de mes idées.
J’ai coché le bon programme cette fois-ci.
Il faut croire que mon parcours m’a façonnée autrement.
En faisant émerger ma face de conne-ctée.
La place qu’on laisse à certaines personnes dans nos vies, c’est pas croyable!
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Merci Sabrina pour ton texte. Certaines personnes se croient permis de démolir des gens pour se sentir important. Ce n’est pas toi la face de conne, ce sont eux les gros cons.
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