Lettre à ma mère

Je te pardonne. Enfin.

Ç’aura pris du temps. 12 ans pour être exacte. La cicatrice était profonde, mais le temps a agi comme un baume et m’a réparée, peu à peu. Ces 12 dernières années ont été marquées par de nombreux changements. Dans ma vie, mon corps, ma tête. Et je ne peux nier l’impact de ton abandon sur la femme que je suis devenue. Cette femme si forte et si fragile à la fois, qui apprend à s’aimer un peu plus chaque jour.

J’ai douté d’être à la hauteur. Souvent. Trop souvent. Si les liens du sang ne sont pas assez solides pour garder quelqu’un près de moi, qui daignerait donc partager sa vie avec ma version imparfaite au quotidien? Qui pourra m’accepter dans mes couleurs plus sombres, que l’anxiété noircit de temps à autre?

Avec les années, je me suis cherchée. Beaucoup. À travers les autres, à travers les hommes qui ont partagé mon lit, à travers ceux qui m’ont brisé le coeur. J’ai eu peur d’aimer. De m’attacher. De tout perdre. De me perdre. Ce sentiment que tout me glisse entre les doigts, j’y ai trop souvent goûté. Et perdre le contrôle, je ne pouvais me le permettre. J’ai vu comment la dépendance affective a pu te transformer, et je me suis promise de ne jamais remettre mon bonheur dans les mains d’un autre. D’un homme.

Te voir vivre de cette façon m’a fait réaliser que j’étais plus forte que je ne le croyais. Que j’étais différente de toi. Et ça m’a aidé à m’en sortir. Savoir que je ne serais jamais toi. Que je suis moi. Que je suis assez.

Que je suis assez.

Le sais-tu?

Il m’a fallu une décennie complète à me dévaloriser, me trouver laide, stupide et quelconque. La confiance en soi sous zéro, j’ai été ma pire ennemie. Durant toutes ces années, j’ai été choyée d’avoir eu dans ma vie des hommes qui ont su être patients, doux, compréhensifs concernant mon passé. Je leur en suis profondément reconnaissante. Ton rejet m’a brisé si fort que me reconstruire a été une tâche laborieuse. Toutefois, j’ai réussi, au fil du temps, à effacer une partie de ces souvenirs difficiles afin de les remplacer par l’amour de ces belles personnes qui partagent ma vie.

Dont mon mari.

Lui et moi voulons à présent fonder une famille. J’ai su rapidement à l’adolescence que je voulais des enfants. C’était en quelque sorte ancré en moi. J’ai hâte de construire ce cocon d’amour, ce hâvre de paix impénétrable. Égoïste sentiment peut-être de vouloir vivre en tant que mère ce que je n’ai pas vécu enfant. Avoir une famille unie. De l’amour, juste ça. Je n’ai pas une vision utopique évidemment. Je serai une mère imparfaite à souhait.

Mais je serai.

Je serai là.

Je serai là, avec cet enfant, pour qu’il ne se demande jamais s’il est assez. Beau. Brillant. Important. Pour qu’il ne remette jamais en question mon amour pour lui. Pour qu’il ne pense jamais ne pas en être digne, de cet amour. À l’approche de mes 27 ans, je n’ai plus l’énergie de cultiver ces sentiments négatifs à ton égard. Je veux maintenant me concentrer sur le beau qui s’en vient et te laisser derrière moi.

Ton rejet a brisé la jeune femme que j’étais, mais a construit la mère que je serai. Celle que tu n’as pas su être.

Mais si cela peut te soulager, sache que je t’ai pardonné. Enfin.


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